vendredi 7 février 2014

Carl Rogers: postulats et pratique de l'accompagnement

Qui est Carl Rogers ?

Carl Rogers (1902-1987) était un psychologue américain, un psychothérapeute, un universitaire, un pédagogue, un chercheur et l'auteur de nombreux livres.
Il est le fondateur de l'Approche Centrée sur la Personne et de la Psychothérapie Centrée sur la Personne. L’ACP est d’abord une théorie du processus de changement basée sur une conception de l’homme qui s’appuie sur l’idée que celui-ci a au fond de lui-même une tendance positive et constructive à se réaliser lui-même s’il est libre de la faire. L’accent est mis sur l’expérience consciente non sur l’inconscient.
Son enseignement universitaire, dès 1951, a introduit des conceptions révolutionnaires dans le monde de la psychologie, marqué par les seuls courants existants alors - comportementalisme, expérimentalisme et psychanalyse.
 Ce qui fait scandale à l’époque réside dans le fait qu’il considère que la psychothérapie n’est pas une relation entre un expert et un malade mais une rencontre entre deux hommes et que l’autorité suprême réside dans la personne du client et ne provient pas d’une expertise extérieure. Il ajoutait que l’expérience est l’autorité suprême, ni bible, ni prophète, ni dieu, ni Freud ne saurait prendre le pas sur mon expérience directe.
Pratiquant au début de sa carrière la méthode analytique, il l'a progressivement abandonnée pour fonder sa propre méthode thérapeutique, validée par des centaines d'entretiens enregistrés qui en démontrent l'efficacité pour un processus de croissance.
Ses idées, d'abord contestées, furent ensuite reconnues comme singulièrement intéressantes et novatrices : en 1946-47, il fut nommé président de l'American Psychological Association, puis, en 1956, titulaire d'une distinction de celle-ci pour l'intérêt de ses recherches dans le champ de la psychothérapie.
Sa pensée imprègne une grande partie de la psychologie actuelle, en particulier le courant de la psychologie humaniste.
 Les notions qu’il développe ne sont pas d’origine spéculative, mais le résultat d’une interaction continue entre l’expérience pratique, la conceptualisation théorique et la vérification par voie de recherche.
Son livre le plus connu : " On becoming a personn " (USA : 1961) fut édité en France en 1966, sous le titre de "Le développement de la personne " et il est régulièrement réédité depuis lors.  De son domaine d'origine, la psychothérapie, l'Approche Centrée sur la Personne s'est largement étendue à tous les domaines du champ social (pédagogie, travail social, organisations, relations interculturelles A la veille de sa mort, Carl Rogers, fût officiellement pressenti pour être Prix Nobel de la Paix.

Une conception de l’homme :

L’homme est une espèce…espèce d’organisme et comme tel a des caractéristiques qui lui sont inhérentes et qui le mettent à part des autres espèces. Il est dans la continuité de Darwin et il pose une nature de l’homme.
Ainsi, il se place au pôle opposé de Sartre avec l’existentialisme qui affirme que « l’existence précède l’essence » que l’homme se définit par ses actes, que c’est ce qu’il fait, ce qu’il choisit, qui le fait devenir ce qu’il est, que rien n’existe préalablement, et de Freud qui dans son livre (Malaise dans la civilisation) parle de « l’hostilité primaire qui dresse les hommes les uns contre les autres » ou que « la civilisation doit tout mettre en œuvre pour limiter l’agressivité humaine. »
L’homme est un être social :
A l’opposé, Rogers pose comme résultat de ses observations que l’homme est d’abord par nature « incurablement » social et qu’il a un désir violent de relations sûres, intimes, communicantes avec les autres et qu’il se sent coupé, solitaire et incomplet quand de telles relations n’existent pas. Cette tendance peut être bloquée ou déviée.
Cette prise de position est radicale, « révolutionnaire » compte tenu des attitudes souvent pessimistes ou péjoratives sur lesquelles s’appuient les adeptes du Freudisme.

Le respect de la personne :

Il y a en toute personne quelque-chose d’inaliénable qu’aucune science du psychisme ne peut enfermer, qu’aucune autorité extérieure ne doit manipuler, contrôler, diriger au nom de ses propres normes, buts ou vérités qu’il s’agisse du processus de la thérapie ou de ses choix d’existence.
Une vision positive de l’être humain :
C’est seulement peu à peu qu’il est devenu évident pour Rogers que les sentiments sauvages et asociaux ne sont ni les plus profonds, ni les plus forts, et que le noyau de la personnalité est l’organisme lui-même dont l’essence est de se conserver et d’avoir une vie sociale.
Sous la couche de comportement superficiel contrôlé, sous l’amertume, sous la blessure, il y a un moi qui est positif, et qui est sans haine.

L’homme est directionnel :

En 1965, il affirme que «  l’homme est directionnel », c’est-à-dire que l’homme est par nature auto-directionnel et non « réactionnel ». Il a en lui-même de quoi s’orienter de façon créatrice pour lui-même indépendamment des poussées et des guidages d’autrui, il n’est pas un organisme vide qui réagirait sur des réponses automatiques et des excitations purement externes. Il pèse sur l’environnement d’une manière qui lui est propre.
Au cours de son séjour à Paris en 1966 (Dourdan) il évoquera en public la culture des pommes de terre. Même dans une cave privée de lumière, celles-ci ont tendance à germer et à s’orienter. Pourquoi disait-il, chaque homme ne disposerait-il pas en lui-même de possibilités de germination et d’adaptation ?
Il emploie d’autres références empruntées à la vie biologique pour dire que les germes vivants se développent incoerciblement de l’intérieur si on assure les conditions de leur croissance auto-directionnelle.
Rogers propose comme analogie pour exprimer la psychothérapie et plus généralement les relations humaines comme l’apport d’un liquide amniotique psychologique.

L’homme dispose de forces de croissance :

En 1946 il affirme que chez la plupart, sinon chez tous les individus il existe des forces de croissance, des tendances à l’auto-actualisation, qui peuvent agir comme motivation unique à la psychothérapie.
Dés-lors la conception qu’il se fait de l’organisme humain est : non une structure rigide subsistante en forme fermée, mais bien une organisation dynamique fluide, une (gestalt) établie essentiellement sur une tendance vers le devenir, sur un élan d’accomplissement de ses virtuosités latentes par des relations à un environnement de plus en plus étendu.
L’homme cherche sa conservation et son enrichissement :
En 1959, il exprime cet élan par l’expression d’un postulat fondamental : Tout organisme est animé d’une tendance inhérente à développer toutes ses potentialités et à les orienter de manière à favoriser sa conservation et son enrichissement. L’opération de la tendance actualisante a pour effet de diriger le développement de l’organisme dans le sens de son autonomie et de son unicité. La tendance actualisante est le postulat fondamental de la théorie en ACP.
Max Pages dans son ouvrage (L’orientation non directive) dit que l’hypothèse Rogérienne comporte ainsi un double aspect : l’organisme, d’une part poursuit des fins qui lui sont propres, liées à la conservation et à sa directionalité, mais d’autre part il se développe « une capacité de régulation de l’organisme par lui-même, qui le met à même de modifier sa propre structure interne pour atteindre ses fins.

L’homme a besoin de considération :

Cette expression représente l’une des notions clés du système théorique en ACP et peut se définir comme l’idée que si les expériences d’une autre personne relatives à elle-même m’affectent toutes comme également digne de considération positive, autrement dit, si parmi toutes ses expériences, il n’en est aucune que je distingue comme plus ou moins digne de considération positive, nous disons que j’éprouve à l’égard de cette personne une attitude de considération positive inconditionnelle. Le sujet est estimé en tant que personne indépendamment des critères que l’on pourrait appliquer aux divers éléments de son comportement.
L’un des facteurs les plus puissants de la relation thérapeutique semble émaner de l’attitude d’appréciation inconditionnelle que l’intervenant témoigne à l’égard du client en tant que personne. C’est cette attitude de considération inconditionnelle qui crée les conditions nécessaires à la réalisation de l’état d’accord interne.

La vie pleine ou le « plein fonctionnement » :

A propos de la « vie pleine », Rogers dit que c’est le processus de mouvement dans une direction que choisit l’être humain quand il est libre intérieurement de se mouvoir dans n’importe quelles directions.
L’être pleinement ouvert à son expérience aurait accès à toutes les données possible de la situation pour fonder sa conduite : les exigences de la société, ses propres besoins complexes et peut-être contradictoires, ses souvenirs de situations similaires, sa perception du caractère unique de cette situation etc.
Les défauts qui rendent ce processus peu sûr chez la plupart d’entre nous sont l’inclusion d’informations qui n’appartiennent pas à la situation présente ou l’exclusion d’informations qui y appartiennent.

Le Moi ou Self :

Il prend conscience au cours des entretiens de l’importance de l’image de soi et que le Moi est un élément central de l’expérience subjective et que le client ne semble avoir d’autres but que de devenir son « véritable moi ».
A propos du self, il dit que c’est la configuration composée de perceptions se rapportant au moi, aux relations avec autrui, avec la vie en général, ainsi que les valeurs que le sujet attache à ces diverses perceptions. Cette configuration se trouve dans un état de flux , elle est constamment changeante, encore qu’elle soit toujours organisée et cohérente. Le self est pour Rogers un mécanisme régulateur de comportement.
L’individu vit une expérience, la symbolise et l’intègre à son self. Lorsque l’accord entre le self et l’expérience se réalise l’individu fonctionne de manière optimale, est ouvert à l’expérience et se trouve dans un certain état d’authenticité et d’harmonie. Lorsque le self perçoit du danger, reconnaissable par des états de tension, de confusion ou d’angoisse sont mis en œuvre des mécanismes de défense pour conserver l’image qu’il a de son self. Les deux principaux mécanismes observables sont la déformation et  la dénégation (désavouer l’expérience).


La question du passé et de « l’ici et maintenant » :

A propos du concept du Moi ou du Self il précise que la conduite n’est pas « causée » par quelque chose qui est apparu dans le passé. Les tensions présentes et les besoins présents sont les seuls choses que l’organisme s’efforce de réduire ou de satisfaire.
La configuration complexe d’excitations internes et externes qui existe à tel moment n’a jamais excité auparavant de la même manière. Par conséquent cet être réaliserait que ce que je serai au moment suivant et ce que je ferai naît du moment présent et ne peut être prédit à l’avance ni par moi ni par d’autres. C’est l’affirmation de la prédominance de « l’ici et maintenant », chère aux approches de la psychologie humaniste.

Définir la relation d’aide :

Nous entendons par ce terme de relation d'aide, des relations dans lesquelles l'un au moins des deux protagonistes cherche à favoriser chez l'autre la croissance, le développement, la maturité, un meilleur fonctionnement et une meilleure capacité d'affronter la vie. L'autre, dans ce cas, peut être soit un individu, soit un groupe. On pourrait encore définir une relation d'aide comme une situation dans laquelle l'un des participants cherche à favoriser chez l'une ou l'autre partie, ou chez les deux, une appréciation plus grande des ressources latentes internes de l'individu, ainsi qu'une plus grande possibilité d'expression et un meilleur usage fonctionnel de ces ressources. (Développement de la personne, p. 29)
La technique primordiale, qui conduit la prise de conscience chez le client, requiert de l'aidant un suprême degré de retenue, plutôt qu'un suprême degré d'initiative agissante. La technique primordiale est d'encourager l'expression des attitudes et des sentiments, jusqu'à ce que la compréhension intuitive apparaisse spontanément. L'apparition de la compréhension est souvent retardée, et même parfois rendue impossible, par les efforts de l'aidant pour la créer ou la faire naître.  (La relation d'aide et la psychothérapie, p. 196).
Dès lors, attention aux attitudes de jugement, de conseil, de support et d'interprétation. (Voir A.Porter)


Les conditions nécessaires et suffisantes de l’accompagnement :

1    - L’écoute inconditionnelle positive,
Nous avons développé cette notion précédemment.

2    - L’empathie,

Il nous faut distinguer cette notion de la sympathie, de la compassion et de la contagion émotionnelle.

La sympathie, du grec syn – « avec » et pathos – « souffrance », consiste aussi à comprendre les émotions d’une autre personne mais elle comporte une dimension affective supplémentaire. L’empathie tend vers l’objectivité quand la sympathie est bien plus subjective. Elle est une réponse motivationnelle qui repose sur une proximité affective avec qui en est l’objet et vise à améliorer son bien-être.

La compassion vient du latin, « cum-patire », « souffrir, éprouver avec » est le sentiment par lequel on est porté à percevoir ou ressentir la souffrance des autres, et poussé à y remédier. « Pitié » et « apitoiement », « commisération », « miséricorde » signifient originellement compassion.

Dans la contagion émotionnelle la personne éprouve le même état affectif d’une autre personne sans conserver la distance entre soi et autrui.

L’empathie : son objet est la compréhension. L’objet de la sympathie est le bien être de l’autre. En somme l’empathie est un mode de connaissance, la sympathie est un mode de rencontre avec autrui.

Rogers définit l’empathie comme la capacité de percevoir le cadre de référence interne d’autrui aussi précisément que possible avec les composantes émotionnelles et les significations qui lui appartiennent comme si l’on était cette personne, mais sans jamais perdre de vue la condition du « comme si ». La condition du « comme si » distingue clairement le processus d’empathie de celui de l’identification.

3    - La congruence.

Le premier mouvement de cette démarche orientée vers l’autre est pour Rogers un retour paradoxal vers soi-même, un mouvement de « présentiation » à soi au coeur même de la solitude. IL s’agit de se vérifier, de se mettre en état d’être vrai, réel, de sonder ses sentiments, ses idées et ses valeurs, telles qu’elles sont, avant la rencontre et pendant. Il s’agit de savoir être la complexité de ses sentiments, sans crainte.

Les  impératifs de l’accompagnement :

1 – ACCUEIL ET NON PAS INITIATIVE,

Attitude de réceptivité, d’accueillance, mettre à l’aise

2 – ETRE CENTRE SUR CE QUI EST VECU PAR LE SUJET ET NON SUR LES FAITS QU’IL EVOQUE,

S’intéresser à ce qu’éprouve le sujet davantage qu’aux faits objectifs.

3 – S’INTERESSER A LA PERSONNE DU SUJET, NON AU PROBLEME LUI-MEME,

Voir le problème, qui est existentiel, du point de vue du sujet concerné

4 – RESPECTER LE SUJET ET LUI MANIFESTER UNE CONSIDERATION REELLE AU LIEU D’ESSAYER DE LUI MONTRER LA PERSPICACITE DE L’INTERVIEWER OU SA DOMINATION,

Intervenir pour que le sujet ait la certitude que l’on respecte sa manière de voir, de vivre ou de comprendre.

5 – FACILITER LA COMMUNICATION ET NON PAS FAIRE DES REVELATIONS,

Il ne s’agit pas en effet (et là-dessus l’opposition à la psychanalyse est catégorique) d’écouter le sujet dans le but de classer ses dires dans des cadres tout préparés d’un système d’interprétation, ni d’attendre le bon moment pour lui révéler une explication que nous supposerions être la vérité de son inconscient. Il s’agit de faire effort pour maintenir et améliorer sa capacité de communiquer et de formuler son problème.