mardi 29 janvier 2013

Pédagogie



LA PEDAGOGIE

La pédagogie n’est pas un champ (qui rassemblerait les métiers de l’enfance et de l’adulte), elle n’est pas un champ disciplinaire (à côté de la philosophie, de la sociologie ou de la psychologie), elle n’est pas un objet (des pratiques et des compétences à analyser selon des approches disciplinaires ou méthodologiques), la pédagogie n’est pas une qualité un savoir-faire ou un savoir être à savoir-faire ; la pédagogie, n’est pas une position idéologique.

La pédagogie est une démarche spécifique.

Si la pédagogie est l’enveloppement mutuel et dialectique de la théorie et de la pratique éducative par la même personne, sur la même personne, le pédagogue est avant tout un praticien-théoricien de l’action éducative. Il est entre les deux, il est cet entre-deux.

Seul sera considéré comme pédagogue celui qui fera surgir un « plus » dans l’articulation théorie-pratique en éducation.

Le déni de la pédagogie va consister à récuser comme « valable » le savoir issu de cet enveloppement.

La philosophie et la pédagogie :

En aucune façon chez Platon et Rousseau la pratique n’est productrice de théorie. Nous pensons que l’on peut aller jusqu’à dire que la spécificité d’une formation pédagogique, qu’elle soit initiale ou continue, n’est pas de réfléchir à ce que l’on va faire, ni à ce que l’on doit faire, mais plutôt de réfléchir à ce que l’on a fait.

En pédagogie l’expérience est première, même pour un débutant, surtout pour un débutant. Sera donc utile et moteur tout ce qui suscite chez l’apprenti de l’expérience, soit : un savoir-faire qui recouvre au moins trois éléments :

-         premièrement, un savoir du savoir-faire (dans telle situation je m’y suis pris comme cela et ça a donné telle chose)
-         deuxièmement, un savoir pour le savoir-faire (telles expériences faites dans telles circonstances est-elle transposable dans telles autres occasions)
-         troisièmement, un savoir-faire à partir du savoir-faire, savoir qui renvoie à cette réflexion et cette théorisation propres à l’articulation théorie-pratique en pédagogie. L’expérience est donc à la fois un préalable, un moyen et un but en formation initiale.

Les formateurs sont toujours là mais ils sont au service de ce qui surgit par le dispositif expérientiel mis en place.

Quelles sont les caractéristiques d’une formation expérientielle ?

            En premier lieu l’expérience est englobante, c’est un processus qui implique toutes les dimensions de la personne (affectif, rationnel, corporel). La personne en formation va se donner comme « massive » pleine de sa réalité, porteuse d’un vécu, peu distanciée de son monde.

            En deuxième lieu, l’expérience articule continuité et ruptures, capitalisation de l’acquis et épreuve de la nouveauté, destruction du vécu immédiat et réelaboration réflexive, résistances aux prises de conscience et ouverture vers des incertitudes.

            En troisième lieu, la formation expérientielle s’oppose à la formation institutionnelle dans la mesure où celle-ci semble séparer l’apprentissage de l’expérience, une préparation quitte à vouloir ensuite « reprendre » l’expérience dans un nouvel apprentissage.

Triade formateur-stagiaire-réalité, c’est cette dernière qui énonce les termes du problème, non le formateur.

Le pédagogue est travaillé au moins par trois figures : il est à la fois et simultanément praticien, militant et expert.

Tout le monde est d’accord, à vrai dire, sur les idéaux humanistes qui doivent porter l’éducation, qui s’opposerait aux slogans qui fonde la belle littérature des « projets éducatifs », construire l’autonomie de l’enfant, réaliser son épanouissement, le mettre au cœur du système éducatif, faire une éducation intégrale etc.
Ce que l’on oublie de voir le plus souvent, ainsi fonctionne l’idéologie, c’est que la réalité se situe à l’opposé de ces idéaux : avez-vous jamais vu une société qui s’accommode en fait de l’autonomie des individus qui la composent, qui ne fasse pas passer son utilité avant leur épanouissement, qui ne place pas l’Etat au centre et qui ne s’emploie pas, à travers le système éducatif, à mutiler la personne pour mieux s’en servir.

Ce positionnement d’objectivité permet de se protéger d’un intentionnalisme subjectif qui est la plaie de la pédagogie. (le pédagogisme)
La tentation est grande pour le formateur d’organiser d’entrée son action dans le sens qu’il souhaite, sans vérifier si la réalité humaine s’y prête réellement.

Mais je ne saurai jamais si cette évolution positive est due à l’explicitation elle-même, ou bien à la bonne disposition du sujet, ou encore à ma force de conviction : l’effet est-il réel ou n’est-il qu’apparent ?

Si je veux garder la maîtrise du mouvement, il importe que je ne me laisse pas emporter par la générosité de l’intention de formation, qui n’est peut-être qu’un égocentrisme intellectuel déguisé en service de l’autre.

Perfectibilité et liberté sont deux ressorts distincts de la nature humaine.

… l’action pédagogique va se jouer prioritairement dans l’élaboration et la mise en œuvre de moyens mis à la disposition de l’autre afin qu’il mette en œuvre sa liberté

A travers ces moyens pédagogiques on vise un résultat visible et palpable, lire, écrire, se tenir bien. Ces finalités, travaillant dans le sens de la perfectibilité humaine, correspondant à autant de besoins liés à la vie en société et gérés par le système éducatif.
Mais toutes ces finalités établies, même socialement confirmées, ne disent encore rien de la « fin » que le pédagogue est appelé à viser à travers elles, et qui s’identifie au désir d’autonomie qui porte la nature humaine. Ces finalités sont là pour que chacun se fasse une œuvre de soi-même.

Tout va alors se jouer dans la façon dont le pédagogue va manipuler ces moyens pédagogiques : en profitera t-il pour enfermer l’enfant dans sa nature ? ou bien agira t-il, vis à vis de ces moyens, de telle sorte que l’éducable en fasse un instrument de sa propre libération ?

Ainsi devrait pouvoir se lier, dans l’action pédagogique menée autour des moyens qu’il se donne, les trois démarches que nous avons mises en tension à travers tout ce texte :

-         le démarche de l’expert en sciences humaines, attentif à la marche de la nature humaine et aux lois qui le gouvernent.

-         la démarche du penseur-philosophe qui ne détourne pas son regard de la fin vers laquelle tend cette même nature humaine et qui n’est pas de l’ordre des moyens techniques mis en œuvre.

-         La démarche du praticien qui pilote ce double mouvement dans la particularité des cas, au milieu des aléas de l’expérience et des situations diversement vécues.

L’enfermement dans l’une ou l’autre, au mépris des deux autres conduirait à faire du pédagogue ce que Pestalozzi appelait une « bête de tête » ou une « bête de cœur » ou une « bête de main ». L’homme se fait homme au point de rencontre de ces trois dimensions.

et oblige à se donner une philosophie de la personne apprenante qui ne traite pas les savoirs comme des choses, et une philosophie des savoirs à apprendre qui ne traite pas la personne comme une chose.


« Manifeste pour les pédagogues », Jean Houssaye, Michel Soëtard, Daniel Hameline, Michel Fabre, Collection Pratiques et enjeux pédagogiques, Edition ESF, 2002

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