LA PEDAGOGIE
La pédagogie n’est pas un champ
(qui rassemblerait les métiers de l’enfance et de l’adulte), elle n’est pas un
champ disciplinaire (à côté de la philosophie, de la sociologie ou de la
psychologie), elle n’est pas un objet (des pratiques et des compétences à
analyser selon des approches disciplinaires ou méthodologiques), la pédagogie
n’est pas une qualité un savoir-faire ou un savoir être à savoir-faire ;
la pédagogie, n’est pas une position idéologique.
La pédagogie est une démarche spécifique.
Si la pédagogie est
l’enveloppement mutuel et dialectique de la théorie et de la pratique éducative
par la même personne, sur la même personne, le pédagogue est avant tout un
praticien-théoricien de l’action éducative. Il est entre les deux, il est cet
entre-deux.
Seul sera considéré comme
pédagogue celui qui fera surgir un « plus » dans l’articulation
théorie-pratique en éducation.
Le déni de la pédagogie va
consister à récuser comme « valable » le savoir issu de cet
enveloppement.
La philosophie et la pédagogie :
En aucune façon chez Platon et
Rousseau la pratique n’est productrice de théorie. Nous pensons que l’on peut
aller jusqu’à dire que la spécificité d’une formation pédagogique, qu’elle soit
initiale ou continue, n’est pas de réfléchir à ce que l’on va faire, ni à ce
que l’on doit faire, mais plutôt de réfléchir à ce que l’on a fait.
En pédagogie l’expérience est
première, même pour un débutant, surtout pour un débutant. Sera donc utile
et moteur tout ce qui suscite chez l’apprenti de l’expérience, soit : un
savoir-faire qui recouvre au moins trois éléments :
-
premièrement, un savoir du savoir-faire (dans telle situation
je m’y suis pris comme cela et ça a donné telle chose)
-
deuxièmement, un savoir pour le savoir-faire (telles
expériences faites dans telles circonstances est-elle transposable dans telles
autres occasions)
-
troisièmement, un savoir-faire à partir du savoir-faire,
savoir qui renvoie à cette réflexion et cette théorisation propres à
l’articulation théorie-pratique en pédagogie. L’expérience est donc à la fois
un préalable, un moyen et un but en formation initiale.
Les formateurs sont toujours là
mais ils sont au service de ce qui surgit par le dispositif expérientiel mis en
place.
Quelles sont les caractéristiques d’une formation expérientielle ?
En
premier lieu l’expérience est englobante, c’est un processus qui
implique toutes les dimensions de la personne (affectif, rationnel, corporel).
La personne en formation va se donner comme « massive » pleine de sa
réalité, porteuse d’un vécu, peu distanciée de son monde.
En
deuxième lieu, l’expérience articule continuité et ruptures,
capitalisation de l’acquis et épreuve de la nouveauté, destruction du vécu
immédiat et réelaboration réflexive, résistances aux prises de conscience et
ouverture vers des incertitudes.
En
troisième lieu, la formation expérientielle s’oppose à la formation
institutionnelle dans la mesure où celle-ci semble séparer l’apprentissage
de l’expérience, une préparation quitte à vouloir ensuite
« reprendre » l’expérience dans un nouvel apprentissage.
Triade
formateur-stagiaire-réalité, c’est cette dernière qui énonce les termes du
problème, non le formateur.
Le pédagogue est travaillé au
moins par trois figures : il est à la fois et simultanément praticien, militant
et expert.
Tout le monde est d’accord, à
vrai dire, sur les idéaux humanistes qui doivent porter l’éducation, qui
s’opposerait aux slogans qui fonde la belle littérature des « projets
éducatifs », construire l’autonomie de l’enfant, réaliser son épanouissement,
le mettre au cœur du système éducatif, faire une éducation intégrale etc.
Ce que l’on oublie de voir le plus souvent, ainsi
fonctionne l’idéologie, c’est que la réalité se situe à l’opposé de ces
idéaux : avez-vous jamais vu une société qui s’accommode en fait de
l’autonomie des individus qui la composent, qui ne fasse pas passer son utilité
avant leur épanouissement, qui ne place pas l’Etat au centre et qui ne
s’emploie pas, à travers le système éducatif, à mutiler la personne pour mieux s’en
servir.
Ce positionnement d’objectivité
permet de se protéger d’un intentionnalisme subjectif qui est la plaie de la
pédagogie. (le pédagogisme)
La tentation est grande pour le
formateur d’organiser d’entrée son action dans le sens qu’il souhaite, sans
vérifier si la réalité humaine s’y prête réellement.
Mais je ne saurai jamais si cette
évolution positive est due à l’explicitation elle-même, ou bien à la bonne
disposition du sujet, ou encore à ma force de conviction : l’effet
est-il réel ou n’est-il qu’apparent ?
Si je veux garder la maîtrise
du mouvement, il importe que je ne me laisse pas emporter par la générosité
de l’intention de formation, qui n’est peut-être qu’un égocentrisme
intellectuel déguisé en service de l’autre.
Perfectibilité et liberté sont
deux ressorts distincts de la nature humaine.
… l’action pédagogique va se jouer prioritairement dans
l’élaboration et la mise en œuvre de moyens mis à la disposition de l’autre
afin qu’il mette en œuvre sa liberté
A travers ces moyens pédagogiques on vise un résultat
visible et palpable, lire, écrire, se tenir bien. Ces finalités, travaillant
dans le sens de la perfectibilité humaine, correspondant à autant de besoins
liés à la vie en société et gérés par le système éducatif.
Mais toutes ces finalités
établies, même socialement confirmées, ne disent encore rien de la
« fin » que le pédagogue est appelé à viser à travers elles, et qui
s’identifie au désir d’autonomie qui porte la nature humaine. Ces finalités
sont là pour que chacun se fasse une œuvre de soi-même.
Tout va alors se jouer dans la
façon dont le pédagogue va manipuler ces moyens pédagogiques : en
profitera t-il pour enfermer l’enfant dans sa nature ? ou bien agira t-il,
vis à vis de ces moyens, de telle sorte que l’éducable en fasse un instrument
de sa propre libération ?
Ainsi devrait pouvoir se lier, dans l’action pédagogique
menée autour des moyens qu’il se donne, les trois démarches que nous avons
mises en tension à travers tout ce texte :
-
le démarche de l’expert en sciences humaines, attentif à la
marche de la nature humaine et aux lois qui le gouvernent.
-
la démarche du penseur-philosophe qui ne détourne pas son
regard de la fin vers laquelle tend cette même nature humaine et qui n’est pas
de l’ordre des moyens techniques mis en œuvre.
-
La démarche du praticien qui pilote ce double mouvement dans
la particularité des cas, au milieu des aléas de l’expérience et des situations
diversement vécues.
L’enfermement dans l’une ou
l’autre, au mépris des deux autres conduirait à faire du pédagogue ce que
Pestalozzi appelait une « bête de tête » ou une « bête de
cœur » ou une « bête de main ». L’homme se fait homme au point
de rencontre de ces trois dimensions.
…et oblige à se donner une
philosophie de la personne apprenante qui ne traite pas les savoirs comme des
choses, et une philosophie des savoirs à apprendre qui ne traite pas la
personne comme une chose.
« Manifeste pour les pédagogues », Jean Houssaye,
Michel Soëtard, Daniel Hameline, Michel Fabre, Collection Pratiques et enjeux pédagogiques,
Edition ESF, 2002
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