lundi 22 juillet 2013

Emile ou de l'éducation: J.J Rousseau

Ces thèses, signifient en effet ni que l’enfant n’exerce pas son jugement, ni qu’il n’a aucune idée de ce qui lui est dû. Mais sa raison est « sensitive », c’est à dire qu’elle s’applique avant tout aux apprentissages des sens et à l’expérience concrète, pour apercevoir puis mesurer les vrais rapports des choses matérielles : la raison ne porte pas sur ce qui constitue son domaine propre pour l’adulte, c’est à dire les devoirs de l’homme et du citoyen.

L’éducation sera donc « négative », d’abord en ce sens qu’on évitera absolument d’inculquer à l’enfant des connaissances ou des préceptes auxquels son esprit ni son corps ne peuvent donner un remplissement dans l’existence actuelle. Et la principale règle de cette méthode consiste à « perdre du temps ».

La perfectibilité : Une faculté qui, à l’aide des circonstances, développe successivement toutes les autres. Cette sorte de métafaculté articule donc les virtualités de la nature humaine, qui sont muettes à l’origine, et les diverses circonstances qui sont les causes occasionnelles de leur actualisation.

S’il faut en fin de compte éviter que l’enfant joue à l’homme fait, c’est pour prévenir de la situation si courante où lorsqu’il parvient à l’âge adulte, l’homme fait l’enfant.

Livre premier

Forcé de combattre la nature ou les institutions sociales, il faut opter entre faire un homme ou un citoyen : car on ne peut faire l’un et l’autre. (hommage à Platon à propos de la République)

La moitié des enfants qui naissent périt avant la 8ème année. Endurcissez leurs corps aux intempéries des saisons, des climats, des éléments, à la faim, à la soif, à la fatigue, trempez les dans l’eau du Styx.

C’est ainsi qu’on verse de bonne heure dans son jeune cœur les passions qu’on impute ensuite à la nature.

 Je voudrais qu’il fût lui-même enfant, (parlant du gouverneur) s’il était possible, qu’il pût devenir le compagnon de son élève, et s’attirer sa confiance en partageant ses amusements.
Au reste, j’appelle plutôt gouverneur que précepteur le maître de cette science ; parce qu’il s’agit moins pour lui d’instruire que de conduire. Il ne doit point donner de préceptes, il doit les faire trouver.

Les premières sensations des enfants sont purement affectives ; ils n’aperçoivent que le plaisir et la douleur.

La nourriture et le sommeil, trop souvent mesurés, leur deviennent nécessaires au bout de mêmes intervalles ; et bientôt le désir ne vient plus du besoin, mais de l’habitude, ou plutôt l’habitude ajoute un nouveau besoin à celui de la nature : Voilà ce qu’il faut prévenir.

Les nourrices…, elles ont avec eux des dialogues très bien suivis ; et quoiqu’elles prononcent des mots, ces mots sont parfaitement inutiles ; ce n’est point le sens du mot qu’ils entendent, mais l’accent dont il est accompagné.

Les premiers pleurs des enfants sont des prières, si l’on n’y prend garde, ils deviennent bientôt des ordres ; ils commencent par se faire assister, ils finissent par se faire servir. Ainsi de leur propre faiblesse, d’où vient d’abord le sentiment de leur dépendance, naît ensuite l’idée de l’empire et de la domination mais cette idée étant moins excitée par leurs besoins que par nos services, ici commencent à se faire apercevoir les effets moraux dont la cause immédiate n’est pas dans la nature ; et l’on voit déjà pourquoi, dés ce premier âge, il importe de démêler l’intention secrète qui dicte le geste et le cri.
Ainsi quand un enfant désire quelque chose qu’il voit et qu’on veut lui donner ; il vaut mieux porter l’enfant à l’objet que d’apporter l’objet à l’enfant.

L’âme et le corps se mettent, pour ainsi dire en équilibre et la nature ne nous demande plus que le mouvement nécessaire à notre conservation. Cependant il se souviendra de ce qu’il faut faire pour être flatté ; et il sait une fois vous occuper de lui à sa volonté, le voilà devenu votre maître : tout est perdu.

Livre second


Notre manie enseignante et pédantesque est toujours d’apprendre aux enfants ce qu’ils apprendraient beaucoup mieux d’eux-mêmes et d’oublier ce que nous aurions pu seuls leur enseigner.

Que faut-il donc penser de cette éducation barbare qui sacrifie le présent à un avenir incertain, qui charge un enfant de chaînes de toute espèce, et commence par le rendre misérable, pour lui préparer au loin je ne sais quel prétendu bonheur dont il est à croire qu’il ne jouira jamais.

J’entends de loin les clameurs de cette fameuse sagesse qui nous jette incessamment hors de nous, qui compte le présent pour rien, et, poursuivant sans relâche un avenir qui fuit à mesure que l’on avance, à force de nous transporter où nous ne sommes pas, nous transporte où nous ne serons jamais.
Pourquoi lui donner vous plus de maux que son état n’en comporte, sans être sûr que ces maux sont à la décharge de l’avenir ?

L’humanité à sa place dans l’ordre de la vie humaine : il faut considérer l’homme dans l’homme, et l’enfant dans l’enfant.

Les affections de nos âmes, ainsi que les modifications de nos corps, sont dans un flux continuel.

Au contraire, plus l’homme est resté près de sa condition naturelle, plus la différence de ses facultés à ses désirs est petite, et moins par conséquent il est éloigné d’être heureux.

Le seul qui fait sa volonté est celui qui n’a pas besoin, pour la faire, de mettre les bras d’un autre au bout des siens, d’où il suit que le premier de tous les biens n’est pas l’autorité, mais la liberté.

Gardez-vous de donner à l’enfant de vaines formules de politesse, qui lui servent au besoin de paroles magiques pour soumettre à ses volontés tout ce qui l’entoure, et obtenir à l’instant ce qu’il lui plaît.
Savez-vous quel est le plus sûr moyen de rendre votre enfant misérable ? C’est de l’accoutumer à tout obtenir car ses désirs croissent incessamment par la facilité de les satisfaire, tôt ou tard l’impuissance vous forcera malgré vous d’en venir au refus ; et ce refus inaccoutumé lui donnera plus de tourment que la privation même de ce qu’il désire.

De toutes les facultés de l’homme, la raison, qui n’est pour ainsi dire qu’un composé de toutes les autres, est celle qui se développe le plus difficilement et le plus tard ; et c’est de celle là qu’on veut se servir pour développer les premières. Le chef d’œuvre d’une bonne éducation est de faire un homme raisonnable et l’on prétend élever un enfant par la raison : c’est commencer par la fin, c’est vouloir faire l’instrument de l’ouvrage.

Ce dont il doit s’abstenir, ne lui défendez pas ; empêchez-le de le faire, sans explications, sans raisonnements ; ce que vous lui accordez, accordez le à son premier mot, sans sollicitations, sans prières, surtout sans conditions. Accordez avec plaisir, ne refusez qu’avec répugnance ; mais que tous vos refus soient irrévocables ; qu’aucune importunité ne vous ébranle ; que le non prononcé soit un mur d’airain, contre lequel l’enfant n’aura pas épuisé cinq ou six fois ses forces, qu’il ne tentera plus de renverser.

Ne donnez à votre élève aucune espèce de leçon verbale ; il n’en doit recevoir que de l’expérience.

Il est donc clair que le mensonge de fait n’est pas naturel aux enfants ; mais c’est la loi de l’obéissance qui produit la nécessité de mentir ; parce que l’obéissance étant pénible, on s’en dispense en secret le plus qu’on peut, et que l’intérêt présent d’éviter le châtiment ou le reproche l’emporte sur l’intérêt d’exposer la vérité.

L’enfant ne sachant ce qu’il fait quand il s’engage ne peut mentir en s’engageant. Il suit de là que les mensonges des enfants sont tous l’ouvrage des maîtres et que de vouloir leur apprendre à dire la vérité n’est autre chose que de leur apprendre à mentir.

( Critique de la fable : le corbeau et le renard de Jean de la Fontaine)

Jeune instituteur, je vous prêche un art difficile, c’est de gouverner sans préceptes, et de tout faire en ne faisant rien. Cet art, j’en conviens n’est pas de votre âge : il n’est pas propre à faire briller d’abord vos talents, ni à vous faire valoir auprès de vos pairs, mais c’est le seul propre à réussir.

Comme tout ce qui entre dans l’entendement humain y vient par les sens, la première raison de l’homme est une raison sensitive ; c’est elle qui sert de base à la raison intellectuelle, nos premiers maîtres de la philosophie sont nos pieds, nos mains, nos yeux. Substituer des livres à tout cela, ce n’est pas nous apprendre à raisonner, c’est nous apprendre à nous servir de la raison d’autrui, c’est apprendre à beaucoup croire, et à ne jamais rien savoir.


Livre troisième

Souviens-toi, souviens-toi sans cesse que l’ignorance n’a jamais fait de mal, que l’erreur seule est funeste, et que l’on ne s’égare point par ce que l’on ne sait pas, mais par ce qu’on croît savoir.

L’enfant qui lit ne pense pas, il ne fait que lire ; il ne s’instruit pas, il apprend des mots.

Rendez votre enfant attentif aux phénomènes de la nature, bientôt vous le rendrez curieux ; mais pour nourrir sa curiosité, ne vous pressez jamais de la satisfaire. Mettez les questions à sa portée, et laissez-les lui résoudre…Qu’il n'apprenne pas la science qu’il l’invente.

Plein de l’enthousiasme qu’il éprouve, le maître veut le communiquer à l’enfant : il croit l’émouvoir en le rendant attentif aux sensations dont il est ému lui-même. Pure bêtise ! c’est dans le cœur de l’homme qu’est la vie du spectacle de la nature ; pour voir, il faut sentir.

Pour qu’un enfant s’accoutume à être attentif et qu’il soit bien frappé de quelque vérité sensible, il faut bien qu’elle lui donne quelques jours d’inquiétude avant de la découvrir.

Il ne s’agit point de lui enseigner les sciences, mais de lui donner le goût pour les aimer et des méthodes pour les apprendre quand ce goût sera mieux développé. Principe de toute bonne éducation.

Tenez donc toujours l’œil au guet, et, quoi qu’il arrive, quittez tout avant qu’il s’ennuie ; car il importe jamais autant qu’il apprenne, qu’il importe qu’il ne fasse rien malgré lui.

Il faut avoir moins d’égard aux mots qu’il prononce qu’au motif qui le fait parler. Cet avertissement jusqu’ici moins nécessaire, devient de la première importance aussitôt que l’enfant commence à raisonner.

Sans contredit on prend des notions bien plus claires et bien plus sûres des choses qu’on apprend ainsi de soi-même, que celles qu’on teint des enseignements d’autrui ; et outre qu’on accoutume point sa raison à se soumettre servilement à l’autorité, l’on se rend plus ingénieux à trouver des rapports, lier des idées, à inventer des instruments, que quand adoptant tout cela tel qu’on nous le donne, nous laissons affaiser notre esprit dans sa nonchalance, comme le corps d’un homme qui, toujours habillé, chaussé, servi par ses gens et traîné par ses chevaux, perd à la fin la force et l’usage de ses membres.

Plus nos outils sont ingénieux, plus nos organes deviennent grossiers et maladroits ; à force de rassembler des machines autour de nous, nous n’en trouvons plus en nous-même.

Nos vrais maîtres sont l’expérience et le sentiment, et jamais l’homme ne sent bien ce qu’il convient à l’homme que dans les rapports où il s’est trouvé.

Si, sur la question de l’enfant, ne cherchant qu’à vous tirer d’affaire, vous lui donnez une seule raison qu’il ne soit pas état d’attendre, voyant que vous raisonnez sur vos idées et non sur les siennes, il croira ce que vous lui dites bon pour votre âge, et non pour le sien ; il ne se fiera plus à vous, et tout est perdu.

…Songez bien que c’est rarement à vous de lui proposer ce qu’il doit apprendre ; c’est à lui de le désirer, de le chercher, de le trouver à vous de le mettre à sa portée, de faire naître adroitement ce désir et de lui fournir les moyens de le satisfaire.


Autres réflexions :

L’homme se distingue de l’animal par sa liberté. L’animal est une machine : l’homme un agent libre. Le premier agit par instincts et le second par un libre choix. La conscience de la liberté sépare totalement l’homme de l’animal.

La perfectibilité humaine :

La capacité de perfectionnement est à l’origine de tous les maux. (l’homme tyran de lui-même et de la nature) L’homme sort de l’état de nature parce qu’il est perfectible, mais il perd ainsi le bonheur originel.

Le langage :

La communication des idées propre à l’homme, ne dépend pas de ses organes. Les animaux communiquent par une langue innée et fixe, ils ne progressent pas. La langue conventionnelle de l’homme est l’outil de ses progrès.

La propriété et le mal social :

L’homme est libre et peu donc s’orienter vers le pire. La propriété joue un rôle capital, elle engendre inégalité et violence.

La propriété, terme extrême de l’état de nature :

Société organisée et mal social sont nés de la propriété. La propriété fonda la     société organisée. Elle fut source de violence. Elle est le résultat d’une lente évolution.

La violence :

Le genre humain écrasé par une poignée d’oppresseurs, une foule affamée, accablée de peine et de faim, dont le riche boit en paix le sang et les larmes, et partant le fort armé contre le faible du redoutable pouvoir des lois.

Discours et violence :

Le vrai contrat repose sur le droit et non sur la force, il exclut toute aliénation de la liberté.

L’homme et les relations sociales :

Inefficacité de l’isolement. Efficacité de la division du travail qui produit un surplus. L’homme ne peut pas ne pas être un être social. L’idée des relations sociales se forme par des échanges. L’homme à besoin d’échanges et donc de relations sociales.


Du droit du  plus fort :

La force ne peut engendrer le droit. Une puissance physique ne peut créer ni moralité ni devoir. Le raisonnement qui assoit le droit sur la force constitue un cercle vicieux qui se détruit lui-même.

Renoncer à sa liberté, c’est renoncer à sa qualité d’homme :

Donner sa liberté sans contrepartie est une folie. Nul ne peut non plus aliéner la liberté de ses enfants. L’homme ne peut renoncer à sa liberté , c’est à dire à sa qualité d’homme.
La doctrine selon laquelle l’autorité peut être fondée sur une convention d’aliénation est inacceptable.

Du pacte social :

Chacun de nous met en commun sa personne et toute sa puissance sous la suprême direction de la volonté générale ; et nous recevons en corps chaque membre comme une partie indivisible du tout.

Il faut distinguer ici l’intérêt commun de la volonté générale.

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